[AfrICANN-discuss] Internet en Afrique : Un racket bien organisé
Anne-Rachel Inné
annerachel at gmail.com
Sat Aug 23 15:53:59 SAST 2008
Internet en Afrique : Un racket bien organisé
jeudi 21 août 2008 par Frédéric
DUBOIS<http://www.alternatives.ca/auteur323.html>
http://www.alternatives.ca/article4033.html
Les Africains paient de cinq à dix fois plus qu'ici pour accéder à
l'internet. C'est encore plus cher en milieu rural, où une connexion est
souvent dure à trouver. Mais le plus scandaleux, c'est que les consommateurs
n'y sont pour rien. Petite excursion du côté sombre de l'internet.
Ibrahima Yade monte l'escalier menant à l'étage, là où loge sa petite
compagnie SeneLogic. Une entreprise en démarrage d'économie sociale avec
pour slogan « La sénégalaise des logiciels libres ». Du haut de ses deux
mètres, Ibrahima, la quarantaine, informe ses quatre plus jeunes collègues
que la session de développement de logiciels est interrompue pour cause de
coupure d'électricité.
SeneLogic, avec pignon sur rue dans le quartier Sacré-Cœur de Dakar, au
Sénégal, avance malgré les difficultés liées à l'infrastructure. Si le
Sénégal est un haut lieu de téléphonie mobile bon marché, l'accès à
l'internet à large bande fait contraste. SeneLogic paie ainsi cinq fois plus
pour sa connectivité qu'une compagnie de Berlin, et sept fois celle d'une
montréalaise.
Cet internet hors de prix, peu fiable ou peu accessible, enterre les
économies africaines dans un sous-développement inacceptable.
*Un problème structurel et historique*
Qui dit internet à large bande ou haute vitesse entend infrastructure à
fibre optique. L'internet sans fil existe, certes, mais lorsqu'il est
question de haut débit, nous entrons dans le domaine des dorsales,
l'artillerie lourde permettant le transfert de données multimédia. Ce sont
précisément ces dorsales qui rendent l'expérience internet fiable et rapide.
Or, il se trouve que sur les côtes africaines, ces câbles sous-marins font
cruellement défaut.
Est-ce qu'il manque d'argent ? « Non », dit Mike Jensen, auteur du document
Les coûts d'interconnexion, publié par l'Association pour le progrès des
communications (APC). Et force est de constater qu'en matière de télécoms,
la manne financière est énorme, si bien qu'aucun opérateur africain n'a fait
faillite à ce jour.
La téléphonie mobile est le moteur qui engendre ces bénéfices monstres dans
toute l'Afrique de l'Ouest. Ibrahima Yade, comme trois millions de ses
compatriotes, utilise les services de téléphonie cellulaire de la compagnie
Orange. Cela représente un quart de la population. Ce chiffre témoigne d'un
fort appétit des Sénégalais pour les communications bon marché. À titre
comparatif, Bell mobilité ne rejoint « que » six millions d'utilisateurs au
Canada, soit une personne sur cinq.
Les coûts élevés de l'internet seraient, selon Mike Jensen, le fait
d'opérateurs des télécommunications monopolistiques africains. En bonne
partie contrôlés par des intérêts européens ou étasuniens, ils sont peu
enclins à développer des dorsales internet.
Les opérateurs profitent ainsi de leur position pour refiler la facture aux
fournisseurs de services internet (FSI) locaux, qui « doivent payer aux deux
extrémités de leurs liaisons internationales », soit lorsqu'ils téléchargent
des données en amont et en aval, nous signale Jensen. Ce sera, au finish, à
Ibrahima Yade et aux siens de se débattre pour arriver à assumer le salé
forfait de connectivité, qui s'élève à plus de 250 dollars canadiens par
mois. Le cas de la Sonatel, qui bénéficie d'un accès direct au câble
sous-marin SAT-3 depuis 2002, est patent. L'opérateur unique du Sénégal, qui
appartient à France Télécom à hauteur de 43 %, passe l'addition aux FSI
ouest-africains. Ces derniers sont tenus de faire transiter leur trafic
international par la Sonatel. Les pays comme le Mali, la Guinée Bissau et le
Burkina Faso dépendent entièrement de cet « accès à la mer » sénégalais, ce
qui signifie des coûts exorbitants et une fiabilité soumise notamment aux
nombreuses coupures d'électricité de ce pays.
La Sonatel joue au pacha en empochant des bénéfices sans pour autant
réinvestir dans le développement d'infrastructures de télécommunication.
Mais cet opérateur est aussi une victime, puisqu'il doit payer des frais de
transit en amont, auprès des pays développés. En effet, la Sonatel se lie
les mains dans un accord de transit avec un de ses gros actionnaires, France
Télécom. Les sommes faramineuses dépensées par les clients africains pour
accéder à l'internet migrent donc en Europe. « Cette subvention inversée
vers le Nord a exacerbé les déséquilibres entre les régions développées et
en développement », explique Mike Jensen.
Cette incongruité n'est pas seulement causée par France Télécom ou d'autres
entreprises occidentales. Les dirigeants de la Sonatel, des autres sociétés
de télécommunications africaines, ainsi que les leaders politiques du
continent sont tout aussi responsables.
*Briser la mentalité de consommateur*
« Tous les pays africains, s'ils le décident, peuvent y arriver », lance
Mohamed Diop, ingénieur des télécommunications sénégalais. « Nous devons
être considérés comme des pairs vis-à-vis de l'Europe, des autres pays
africains et des États-Unis », affirme-t-il. Mohamed Diop était de passage
en juin à l'atelier de fondation de GOREeTIC — un réseau de la société
civile engagé envers une réforme du secteur des télécommunications
africaines.
Un ancien de la Sonatel, Mohamed Diop, avait déjà fait valoir son point de
vue à l'occasion du Forum sur la gouvernance de l'internet, à Rio de
Janeiro, en décembre 2007. Des sociétés du continent, tel que la Telkom
sud-africaine, avaient alors tenté d'étouffer l'affaire. Sa vision
concernant les accords d'interconnexion de transit s'appelle
l'« homologage », dans le jargon des télécoms. Ce genre de troc
représenterait cependant une menace au bénéfice à court terme de ces
sociétés.
Faisant écho à l'analyse du Sud-Africain Mike Jensen, Mohamed Diop martèle
que « ce qu'on veut, c'est que l'Afrique, ce qu'elle est en train de
dépenser pour l'accès à l'internet, la connectivité, aille dans le
développement de l'infrastructure ».
*Brancher au niveau sous-régional*
Outre l'accès aux dorsales sous-marines, des spécialistes des
télécommunications soutiennent qu'il faudra créer des dorsales à travers
l'ensemble du continent. Pour y arriver, ils préconisent le modèle d'accès
ouvert. Sous ce modèle éprouvé en Asie notamment, un montage financier
ouvert à tous types d'investisseurs (grandes sociétés, gouvernements, petits
FSI organisés en associations, groupes d'usagers) permettrait d'injecter les
fonds nécessaires à l'établissement d'infrastructures de télécoms profitant
à tous les partenaires.
Pour réussir, les sociétés civiles et le secteur des télécommunications
africains doivent changer leurs pratiques afin de collaborer davantage. De
leur côté, les grandes sociétés prédatrices, d'Europe pour la plupart,
doivent être contraintes de revoir leurs accords avec les opérateurs
africains.
La mise en place du réseau GOREeTIC se veut la réponse de la société civile
à ce défi d'interconnexion. Le réseau agit non pas comme investisseur, mais
bien comme lubrifiant, afin qu'à un très haut niveau politique et
économique, les acteurs d'Afrique de l'Ouest et du Centre fassent changer
les choses. Cela nécessite de chercher des solutions conjointement avec les
parlementaires, de rassembler la société civile et les petits FSI et de
s'investir auprès d'agences sous-régionales de régulation.
Cet objectif n'est pas irréaliste, parce que dans le domaine de l'internet,
l'Afrique ne tire pas toujours la plus courte paille. Elle a, par exemple,
réussi avec brio à casser cette dynamique de simple consommateur dans le
domaine des adresses IP – ces numéros qui identifient chaque ordinateur
connecté à l'internet. À force de livrer combat, l'organisation AfrinIC a vu
le jour et elle gère maintenant les adresses IP du continent.
L'auteur est coordonnateur de l'information et relations médias à
l'Association pour le progrès des communications (APC).
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