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                        <h1 class="crayon article-titre-4033 titre-article">Internet en Afrique&nbsp;: Un racket bien organisé</h1>
            
                                <p class="detail">
                                jeudi 21 août 2008
                                
                                par 
                                <a href="http://www.alternatives.ca/auteur323.html">Frédéric DUBOIS</a>
                                
                                </p>
      </div>


                <div class="crayon article-chapo-4033 chapo"><a href="http://www.alternatives.ca/article4033.html">http://www.alternatives.ca/article4033.html</a><br>Les
Africains paient de cinq à dix fois plus qu'ici pour accéder à
l'internet. C'est encore plus cher en milieu rural, où une connexion
est souvent dure à trouver. Mais le plus scandaleux, c'est que les
consommateurs n'y sont pour rien. Petite excursion du côté sombre de
l'internet.</div>
                
                <div class="crayon article-texte-4033 texte"><p class="spip">Ibrahima
Yade monte l'escalier menant à l'étage, là où loge sa petite compagnie
SeneLogic. Une entreprise en démarrage d'économie sociale avec pour
slogan «&nbsp;La sénégalaise des logiciels libres&nbsp;». Du haut de ses deux
mètres, Ibrahima, la quarantaine, informe ses quatre plus jeunes
collègues que la session de développement de logiciels est interrompue
pour cause de coupure d'électricité.</p>

<p class="spip">SeneLogic, avec pignon sur rue dans le quartier
Sacré-Cœur de Dakar, au Sénégal, avance malgré les difficultés liées à
l'infrastructure. Si le Sénégal est un haut lieu de téléphonie mobile
bon marché, l'accès à l'internet à large bande fait contraste.
SeneLogic paie ainsi cinq fois plus pour sa connectivité qu'une
compagnie de Berlin, et sept fois celle d'une montréalaise.</p>

<p class="spip">Cet internet hors de prix, peu fiable ou peu
accessible, enterre les économies africaines dans un sous-développement
inacceptable.
<span class="spip_document_3051 spip_documents spip_documents_center">
<img src="http://www.alternatives.ca/local/cache-vignettes/L440xH294/ordi-afrique-67a8a.jpg" alt="" style="height: 294px; width: 440px;" class="" width="440" height="294"></span></p>

<p class="spip"><strong class="spip">Un problème structurel et historique</strong></p>

<p class="spip">Qui dit internet à large bande ou haute vitesse entend
infrastructure à fibre optique. L'internet sans fil existe, certes,
mais lorsqu'il est question de haut débit, nous entrons dans le domaine
des dorsales, l'artillerie lourde permettant le transfert de données
multimédia. Ce sont précisément ces dorsales qui rendent l'expérience
internet fiable et rapide. Or, il se trouve que sur les côtes
africaines, ces câbles sous-marins font cruellement défaut.</p>

<p class="spip">Est-ce qu'il manque d'argent&nbsp;? «&nbsp;Non&nbsp;», dit Mike
Jensen, auteur du document Les coûts d'interconnexion, publié par
l'Association pour le progrès des communications (APC). Et force est de
constater qu'en matière de télécoms, la manne financière est énorme, si
bien qu'aucun opérateur africain n'a fait faillite à ce jour.</p>

<p class="spip">La téléphonie mobile est le moteur qui engendre ces
bénéfices monstres dans toute l'Afrique de l'Ouest. Ibrahima Yade,
comme trois millions de ses compatriotes, utilise les services de
téléphonie cellulaire de la compagnie Orange. Cela représente un quart
de la population. Ce chiffre témoigne d'un fort appétit des Sénégalais
pour les communications bon marché. À titre comparatif, Bell mobilité
ne rejoint «&nbsp;que&nbsp;» six millions d'utilisateurs au Canada, soit une
personne sur cinq.</p>

<p class="spip">Les coûts élevés de l'internet seraient, selon Mike
Jensen, le fait d'opérateurs des télécommunications monopolistiques
africains. En bonne partie contrôlés par des intérêts européens ou
étasuniens, ils sont peu enclins à développer des dorsales internet.</p>

<p class="spip">Les opérateurs profitent ainsi de leur position pour
refiler la facture aux fournisseurs de services internet (FSI) locaux,
qui «&nbsp;doivent payer aux deux extrémités de leurs liaisons
internationales&nbsp;», soit lorsqu'ils téléchargent des données en amont et
en aval, nous signale Jensen. Ce sera, au finish, à Ibrahima Yade et
aux siens de se débattre pour arriver à assumer le salé forfait de
connectivité, qui s'élève à plus de 250 dollars canadiens par mois.
Le cas de la Sonatel, qui bénéficie d'un accès direct au câble
sous-marin SAT-3 depuis 2002, est patent. L'opérateur unique du
Sénégal, qui appartient à France Télécom à hauteur de 43&nbsp;%, passe
l'addition aux FSI ouest-africains. Ces derniers sont tenus de faire
transiter leur trafic international par la Sonatel. Les pays comme le
Mali, la Guinée Bissau et le Burkina Faso dépendent entièrement de cet
«&nbsp;accès à la mer&nbsp;» sénégalais, ce qui signifie des coûts exorbitants et
une fiabilité soumise notamment aux nombreuses coupures d'électricité
de ce pays.</p>

<p class="spip">La Sonatel joue au pacha en empochant des bénéfices
sans pour autant réinvestir dans le développement d'infrastructures de
télécommunication. Mais cet opérateur est aussi une victime, puisqu'il
doit payer des frais de transit en amont, auprès des pays développés.
En effet, la Sonatel se lie les mains dans un accord de transit avec un
de ses gros actionnaires, France Télécom. Les sommes faramineuses
dépensées par les clients africains pour accéder à l'internet migrent
donc en Europe. «&nbsp;Cette subvention inversée vers le Nord a exacerbé les
déséquilibres entre les régions développées et en développement&nbsp;»,
explique Mike Jensen.</p>

<p class="spip">Cette incongruité n'est pas seulement causée par France
Télécom ou d'autres entreprises occidentales. Les dirigeants de la
Sonatel, des autres sociétés de télécommunications africaines, ainsi
que les leaders politiques du continent sont tout aussi responsables.</p>

<p class="spip"><strong class="spip">Briser la mentalité de consommateur</strong></p>

<p class="spip">«&nbsp;Tous les pays africains, s'ils le décident, peuvent y
arriver&nbsp;», lance Mohamed Diop, ingénieur des télécommunications
sénégalais. «&nbsp;Nous devons être considérés comme des pairs vis-à-vis de
l'Europe, des autres pays africains et des États-Unis&nbsp;», affirme-t-il.
Mohamed Diop était de passage en juin à l'atelier de fondation de
GOREeTIC — un réseau de la société civile engagé envers une réforme du
secteur des télécommunications africaines.</p>

<p class="spip">Un ancien de la Sonatel, Mohamed Diop, avait déjà fait
valoir son point de vue à l'occasion du Forum sur la gouvernance de
l'internet, à Rio de Janeiro, en décembre 2007. Des sociétés du
continent, tel que la Telkom sud-africaine, avaient alors tenté
d'étouffer l'affaire. Sa vision concernant les accords d'interconnexion
de transit s'appelle l'«&nbsp; homologage&nbsp;», dans le jargon des télécoms. Ce
genre de troc représenterait cependant une menace au bénéfice à court
terme de ces sociétés.</p>

<p class="spip">Faisant écho à l'analyse du Sud-Africain Mike Jensen,
Mohamed Diop martèle que «&nbsp;ce qu'on veut, c'est que l'Afrique, ce
qu'elle est en train de dépenser pour l'accès à l'internet, la
connectivité, aille dans le développement de l'infrastructure&nbsp;».</p>

<p class="spip"><strong class="spip">Brancher au niveau sous-régional</strong></p>

<p class="spip">Outre l'accès aux dorsales sous-marines, des
spécialistes des télécommunications soutiennent qu'il faudra créer des
dorsales à travers l'ensemble du continent. Pour y arriver, ils
préconisent le modèle d'accès ouvert. Sous ce modèle éprouvé en Asie
notamment, un montage financier ouvert à tous types d'investisseurs
(grandes sociétés, gouvernements, petits FSI organisés en associations,
groupes d'usagers) permettrait d'injecter les fonds nécessaires à
l'établissement d'infrastructures de télécoms profitant à tous les
partenaires.</p>

<p class="spip">Pour réussir, les sociétés civiles et le secteur des
télécommunications africains doivent changer leurs pratiques afin de
collaborer davantage. De leur côté, les grandes sociétés prédatrices,
d'Europe pour la plupart, doivent être contraintes de revoir leurs
accords avec les opérateurs africains.</p>

<p class="spip">La mise en place du réseau GOREeTIC se veut la réponse
de la société civile à ce défi d'interconnexion. Le réseau agit non pas
comme investisseur, mais bien comme lubrifiant, afin qu'à un très haut
niveau politique et économique, les acteurs d'Afrique de l'Ouest et du
Centre fassent changer les choses. Cela nécessite de chercher des
solutions conjointement avec les parlementaires, de rassembler la
société civile et les petits FSI et de s'investir auprès d'agences
sous-régionales de régulation.</p>

<p class="spip">Cet objectif n'est pas irréaliste, parce que dans le
domaine de l'internet, l'Afrique ne tire pas toujours la plus courte
paille. Elle a, par exemple, réussi avec brio à casser cette dynamique
de simple consommateur dans le domaine des adresses IP – ces numéros
qui identifient chaque ordinateur connecté à l'internet. À force de
livrer combat, l'organisation AfrinIC a vu le jour et elle gère
maintenant les adresses IP du continent.</p></div>
                <div class="crayon article-ps-4033 ps">L'auteur est coordonnateur de l'information et relations médias à l'Association pour le progrès des communications (APC).</div>
</div>