[AfrICANN-discuss] Les nettoyeurs du Net

Anne-Rachel Inné annerachel at gmail.com
Tue Nov 24 14:12:21 SAST 2009


 Enquête
Les nettoyeurs du Net
http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/11/23/les-nettoyeurs-du-net_1270862_651865.html#ens_id=1244271

<http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/11/23/les-nettoyeurs-du-net_1270862_651865.html#ens_id=1244271>LE
MONDE | 23.11.09 | 13h58  •  Mis à jour le 23.11.09 | 15h58

uand on tape sur Google"Paul Lambert"* (le nom a été changé à la demande de
notre interlocuteur)*, la première page de résultats affiche une liste de
textes informatifs sur l'usine de biocarburants qu'il a créée en Italie. Les
clients, les fournisseurs, les candidats à l'embauche et les concurrents qui
cherchent à se renseigner sur cet homme d'affaires découvrent un site
d'entreprise très bien fait, des articles élogieux sur ses procédés
innovants, des évaluations signées par des experts en marketing et en
développement durable.

 <http://www.mondepub.fr/internet.php>
 Or, il y a quelques mois, la situation était très différente. Sur les dix
premiers résultats Google, six étaient des documents rappelant que, dans les
années 1980 et 1990, l'homme était un trafiquant d'armes international, et
qu'il avait été mêlé à deux scandales politico-financiers. A l'époque, il
avait même écrit un livre sur son métier. Puis il s'était expatrié et avait
refait sa vie.

Par quel miracle, en quelques mois, "Paul Lambert" s'est-il refait une
virginité numérique ? Il a fait appel aux services de Hington & Klarsey, une
jeune agence basée en Angleterre, spécialisée dans la gestion de la *
"e-reputation"*. L'équipe, qui réunit des informaticiens, des juristes et
des gens de communication, a mis au point un procédé très efficace. Elle
mène des recherches pour identifier les auteurs des textes visés et les
responsables des sites qui les publient. Puis elle leur demande de supprimer
les contenus compromettants, ou au moins de les modifier, en remplaçant le
nom de leur client par ses initiales. Xavier Desfeuillet, directeur exécutif
de Hington & Klarsey, se dit partisan de la manière douce : *"Nos arguments
sont avant tout d'ordre moral. Nous expliquons aux éditeurs que ces
informations sont sans valeur, car obsolètes. Elles nuisent à notre client
sans rendre service à quiconque."* Ainsi, il réussit à convaincre le
quotidien *L'Humanité* de supprimer de ses archives en ligne un article sur
son client, datant de 1993.

Bien sûr, ce système est imparfait. L'une des affaires impliquant "M.
Lambert" fut évoquée lors d'une enquête parlementaire, dont le compte rendu
reste publié sur un site officiel. Par ailleurs, des blogueurs militants,
qui ont republié certains articles et rédigé des commentaires, refusent de
les effacer, et s'insurgent contre cette forme de censure.

Dans d'autres cas, l'agence ne parvient pas à identifier les propriétaires
du site, ou n'obtient aucune réponse car ils vivent dans un pays lointain.
Certains essaient aussi d'extorquer de l'argent pour effacer un contenu
dérangeant. Quand le "nettoyage" s'avère impossible, les agences ont recours
à une autre technique, le "noyage" : on neutralise les documents gênants en
les faisant reculer dans la hiérarchie des résultats des moteurs de
recherche. Qui se soucie de ce que Google publie en quatrième ou en
cinquième page ?

L'agence crée alors une série de sites dont l'adresse contient le nom du
client, ce qui les propulse en tête du classement. Pour plus de crédibilité,
elle leur accole des mots-clés comme *"news"*,*"market"* ou *"audit"* ... Il
faut ensuite les remplir de "contenu positif" rédigé dans un style neutre et
professionnel, souvent accompagné de photos et de vidéos. Vient enfin
l'étape cruciale du référencement : l'agence possède des centaines de pages
Web apparemment indépendantes, dont la fonction essentielle est de publier
des liens en direction des sites dont on veut faire la promotion. Ceux-ci
sont alors repérés en priorité par les algorithmes de Google.

Ces prestations haut de gamme sont réservées aux chefs d'entreprise, aux
stars du show business et aux hommes politiques, car elles peuvent coûter
des dizaines de milliers d'euros. Pour les citoyens ordinaires, d'autres
agences proposent des services plus modestes, à des tarifs abordables. Aux
Etats-Unis, la gestion de *"e-reputation"* est en train de devenir une
industrie, fonctionnant sur le modèle des compagnies d'assurances. Pour un
abonnement de 15 dollars par mois, la société californienne Reputation
Defender effectue ainsi sur Internet une veille permanente pour le compte de
ses clients. A chaque fois que leur nom ou leur photo apparaît sur un
nouveau site, elle les avertit. Si le client estime que ce contenu est
dérangeant, la société lance une offensive pour le faire effacer. Elle
facture 29 dollars par document supprimé.

Michael Fertik, le patron de Reputation Defender, affirme posséder plusieurs
milliers de clients modestes : psychologue accusé d'avoir acheté son
diplôme, parents découvrant que leur fils raconte des secrets de famille sur
des forums... Il note aussi la multiplication des affaires impliquant des
images. La mode des photos érotiques prises dans l'intimité du couple se
répand dans la jeunesse occidentale. Quand la passion s'estompe, les images
restent à l'abandon sur un disque dur, mais en cas de crise ou de dispute,
elles surgissent au grand jour : par vengeance, des hommes éconduits ou
trompés les affichent sur Internet. Parfois, la femme contre-attaque en
publiant des textes assassins sur son compagnon. Du coup, les deux parties
deviennent clientes de Reputation Defender.

En France, une start-up baptisée Reputation Squad vient de se lancer sur le
même créneau. Parmi ses premiers clients, un homme qui fut victime d'une
escroquerie, largement couverte par les médias. Des années après l'affaire,
son nom figure toujours dans de nombreux articles sur Internet. Personne ne
lui reproche rien, mais il exècre ce statut d'éternelle victime.

Quand les documents sont diffamatoires ou attentatoires à la vie privée, les
agences peuvent utiliser des méthodes plus musclées. La société parisienne
Les Infostratèges n'hésite pas à envoyer aux blogueurs et modérateurs de
forums des rappels à la loi et des menaces de poursuites. Avec les sites des
médias classiques, c'est plus compliqué, mais Didier Frochot, le juriste des
Infostratèges, imagine déjà une réforme ambitieuse : *"Les sites officiels
comme Legifrance* (qui publie sur Internet les arrêts de différents
tribunaux)* anonymisent leurs archives au bout de deux ans, pour accorder
aux justiciables un droit à l'oubli. Les médias devraient faire la même
chose. S'ils n'arrivent pas à s'autodiscipliner, il faudra faire voter une
loi contraignante."* M. Frochot a saisi la CNIL de cette question, sans
résultat à ce jour.

Certaines victimes s'adressent, plus classiquement, à des avocats, qui
apprennent sur le tas le métier de nettoyeur du Net. Me Blandine Bonvoisin,
avocate à Lille, a récemment reçu dans son cabinet une employée de banque en
plein désarroi. Son fils de 15 ans, qui s'était amusé à taper le nom de sa
maman sur Google, est tombé par hasard sur un film pornographique datant de
1987, dont elle était la vedette. Côté familial, le mal est fait, mais
l'ex-actrice craint à présent que ses collègues ne fassent la même
découverte. L'avocate estime que le recours aux tribunaux sera suffisant : *"La
plaignante doit prouver qu'elle subit un préjudice, mais dans le cas d'une
oeuvre pornographique, ce sera facile. Par ailleurs, à l'époque du tournage,
ma cliente n'a pas pu céder ses droits pour une exploitation via Internet,
car il n'existait pas."*

Les avocats s'estiment très efficaces dans les cas de non-respect de la
présomption d'innocence. En 2002, la responsable d'une association est mise
en examen dans une affaire d'abus de confiance. Garde à vue, licenciement...
Son nom est cité dans les médias, et les articles les plus accusateurs sont
repris et commentés sur des forums. En 2006, elle bénéficie d'un non-lieu,
mais personne n'en parle. Résultat, deux ans plus tard, quand on tapait son
nom sur Google, on tombait sur des articles non datés, donnant l'impression
qu'elle était toujours au centre d'une affaire en cours : *"Je cherchais du
travail*, se souvient-elle ; *à cause d'Internet, les recruteurs étaient
tous au courant de mon passé judiciaire. Bien qu'innocentée, j'étais
terrassée par la honte."* Elle crée sa propre entreprise, mais sa réputation
sur Internet lui fait perdre plusieurs clients. En 2008, elle a enfin assez
d'argent pour faire appel à une avocate.

Pour des raisons techniques, le problème risque de s'aggraver très vite. Des
nouveaux logiciels de reconnaissance visuelle vont bientôt permettre de
retrouver toutes les photos d'une personne sur Internet à partir d'une seule
image de son visage. Les moteurs de recherche, qui ne scannent aujourd'hui
qu'une partie des serveurs accessibles via Internet, s'enfoncent de plus en
plus profondément dans les bases de données, et vont dénicher des documents
jusque-là épargnés, notamment dans les réseaux sociaux et les archives à
l'abandon. Des étudiants qui avaient publié dans les années 1990 des blagues
de potaches sur le réseau universitaire Usenet, oublié de tous, découvrent
aujourd'hui avec horreur qu'ils ont refait surface sur les forums de Google
Groups.

A l'époque, les documents Usenet étaient archivés par une société privée,
dont le fonds a été racheté par Google. Une jeune Française a récemment
essayé de supprimer de Google Groups des messages très intimes laissés dix
ans plus tôt sur Usenet, en vain. Elle fait alors appel à une avocate, qui
écrit à Google, sans résultat. Elle va jusqu'à porter plainte, mais le juge
décide que le droit français n'est pas applicable à un service appartenant à
une société californienne. En désespoir de cause, elle saisit la CNIL, qui
lui répond que ce jugement est regrettable, mais qu'elle n'y peut rien. Puis
un jour, la jeune femme constate que les messages ont mystérieusement
disparu. Malgré tout, elle a résilié son abonnement Internet.

*Yves Eudes*
Article paru dans l'édition du 24.11.09nne
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